Ombre diaphane sur les bancs de bois, les yeux reflètent furtivement la lumière maladive d'un jour éteint depuis fort longtemps. Au loin, quelques rangées de tables froides ornent le grand amphithéâtre. Le rideau se lève. Les marionnettes entrent sur scène, leurs petites têtes de porcelaine dodelinant sur leur cou brisé, les fils blancs de la toile tendus au dessus d'elles.
Le chef de ce petit orchestre entre, vêtu de sa canne et de son pardessus fripé. Il a l'air d'un très vieil acteur fatigué, aux yeux agrandis par trop de maquillage et à la peau de parchemin, où déjà trop de mots se sont inscrits. Silencieux, détenant mille secrets interdits, il précède le souffle des mille vents qui font grincer les portes.
L'acteur s'avance, prêt à clamer son texte, sa voix douce devenant forte, assurée. Ces mots-là, il a du les prononcer mille fois. Les fils se retendent, la toile s'anime et les petites poupées se mettent alors à jouer au son de la musique, semblables à des centaines de plumes qui grattent les papiers archivés. Ô ! Magie de certaines phrases d'où sourdent les notes qui savent si bien parler, s'inscrivant dans l'esprit de ces dizaines d'élèves à la tête penchée. S'élèvent alors les murmures des croyances, la danse des égaux, les chaînes des hommes libres et la pensée de quelques poètes, a qui l'on a volé leurs ailes .... Des millions des pensées virevoltent puis éclatent, menaçant d'exploser sous la voûte céleste. Enfin, se dévoilent les énigmes de nos mille ailleurs que l'on ne saurait regarder et qui sont devenues statues de sel pour avoir tenté de les résoudre.
Sphinx implacable, le vieux chef dirige ses poupées en ventriloque accompli. Elles sont à la fois ses enfants, ses esclaves et son public, alors que les mots d'encre s'effacent en tournoyant.
Il n'a d'yeux que pour elles, elles n'ont d'yeux que pour lui. Nonobstant, sans faire abstraction du fait que c'est grâce à l'acteur de l'ombre qu'elles existent, elles se voudraient libres sans contrainte et ne plus subir la tension de ces fils qui tantôt les soutiennent, tantôt les affligent !
Notre destin est le plus grand marionnettiste de tous les temps ! Il joue (trop souvent à ma guise) sur les fils ténus de notre existence, afin de nous prouver combien nous sommes, parfois, .... ses marionnettes !