Il regarde altier et vainqueur l’infini des mondes, indicible frontière au centre des éthers. Telle une sentinelle dont les longs poils d’hiver laissent un halo cendré sur son passage, il règne sur le site où la terre reste blanche. Parfois il s’arrête, s’assied un instant, juché sur la crête, observant son territoire, immense univers.
Sous ses yeux tout emplis d’or liquide, véritables agates aux mille reflets d’ophite, il cherche à percevoir les walkyries diaphanes que lui envoie le Dieu Thor. En cet instant, il partage son empire avec les corbeaux et devient le gardien d’Anahata, porte de l’âme. Ce lotus aux douze pétales veille sagement sur nos jours entre ciel et terre, surveillant le vase sacré de nos sept destinées.
Les Dieux lui ont donné la force et des déesses il a le regard, infatigable serviteur, redoutable et merveilleux, portant le secret des mondes. Il connaît à souhait les mille arcanes des mancies profanes.
Ombre parmi les ombres, il se déplace lestement, louvoyant sagement contre la folie des hommes. Pourchassé par eux, il vit dans les halliers serrés, les fourrés et les bruyères auprès de sa louve, ses louveteaux et traverse les saisons dans sa fourrure polaire. Regarde-le, toi l'homme ! Toi qui façonne le glaive ! Admire ce roi qui n’use jamais de courroux, gardant sa splendeur comme le désirent les Dieux.
Pourtant, ce soir, il hurle… il hurle à la lune. Les deux jambes dressées, par leurs ongles crochus dans le roc enfoncées, il se sait perdu…sa retraite est coupée et tous les chemins sont pris…Les coups de feu ont pénétré, traversé sa chair baignée de sang…il s’est sacrifié pour sauver sa louve, ses louveteaux auxquels il a sagement appris à ne jamais entrer dans le pacte des villes et à savoir souffrir la faim. Nonobstant, l’homme est parvenu jusqu’à sa retraite blanche pour rutiler dans sa noble fourrure…Il s’effondre, vaincu, tandis que les fusils l’entourent en sinistre croissant. Il regarde fixement ses bourreaux puis referme à jamais ses grands yeux…sans jeter le moindre cri !
Dans le triste sort où les hommes ont bien voulu l'abandonner, son esprit et sa sagesse plénière s’adressent une dernière fois au monde : Accomplis et perdure sur terre ta longue et lourde tâche puis ensuite, comme moi, souffre et subis en silence !
" Nous n'avions pour eux aucune haine. Ils faisaient métier de loups comme nous faisions métier d'hommes. Ils étaient créatures de Dieu. Comme nous. Ils étaient nés prédateurs. Comme l'homme. Mais ils sont restés prédateurs, alors que l'homme est devenu destructeur. " Paul-Emile Victor .