A l’automne de la vie, je sens sourdre en moi les instants qui furent et ne sont plus ; de ceux que l’on voudrait oublier mais surtout de ceux dont on ne veut perdre la moindre once, tant les voir ressurgir nous baigne dans l’ivresse du moment. Il en est ainsi ! Emportée dans la spirale de mes souvenirs je pense à toi ma grande ! Toi qui fut l’objet de mes plus tendres inquiétudes et de mes plus doux émois. C’était… il y a si longtemps !
….Assise face à la mer, sur un ruban de plage, mes pensées s'évadaient et ratiocinaient à flots. Derrière mes lunettes de soleil se voulant gommer les traces d'une longue nuit blanche, je laissais glisser les grains de sable d'une main dans l'autre, comme seul l'eût pu faire un sablier. Le vent léger chahutait ma silhouette et flirtait avec mes vêtements exsudés. Adossée à la dune, la petite cabane de pêcheurs attendait d'un regard subreptice le moment où je romprais sa solitude d'une passion ardente. Puis, de baisers volés en ébats illicites, de caresses dépouillées en jupons retroussés, la main du destin posa sur mon ventre gracile, son empreinte génitrice.
Le futur dessina deux petites prunelles vertes, joyaux de la nature, chez cette nymphe de naïade. Dans les soirées d'hiver, elles éclairèrent mes nuits de mille flammes, remplirent ma vie et réchauffèrent mon antre de solitude. Une aura d'arcanes enveloppait mon Aphrodite à la toison d'or. Avec mon amour pour seul bagage, du cœur du Roussillon à la Venise provençale, sa petite enfance connut le vague à l'âme car dans notre cocon douillet manquait le bonheur d'être trois. Le vent de la moisson avait quelque peu éloigné le semeur durant cinq longues saisons, ranimant son ardeur dans la fraîcheur vespérale d'une belle journée d'été.
Ma délicieuse Ondine vogua alors comme une déesse sur les eaux bleues d'une mer plus calme, que seul Poséidon écuma parfois des affres du doute. Les années se sont égrenées et toutes ses incertitudes d'antan l'ont dotée d'un charisme certain, bien qu'elle en nie l'évidence. Elle a troqué ses épis de blé pour les tons chauds de l'automne, maquillé son regard de tolérance et son cœur de clémence. Elle puise sa magnificence dans la puissance du verbe et l'amour de l'époux qui concrétisa la femme, puis engendra la mère de deux adorables chérubins. Avenante, conviviale à souhait, son sourire est le miroir de ma réussite, l'objet de ma fierté, mon allégorie de jeunesse.
…Pourtant, mes cheveux vont se parer de neige, mes rides se creuser, mon dos se courber, mon corps s'user et mon cœur s'épuiser. Malgré ce, je subsisterai dans le nimbe de ma grande fille à travers le souffle de ses enfants ou le regard de ses petits-enfants. Notre lien est bien trop fort pour que ne cesse ce cadeau de la vie :
" L'Amour ! … Encore ! … Encore ! … Et Toujours !"