En cette veille de Noël, Martigues et ses nombreux foyers préludent déjà, hauts les chœurs, les louanges de la Nativité. Amandine, quant à elle, vient d’achever une des difficiles journées d’employée commerciale, de celles où les derniers retardataires se pressent en masse dans les magasins. Envahie par une lassitude compréhensive, elle regagne avec soulagement son domicile, ne prenant guère le temps de traverser le salon. Je m'empresserai –pense-t-elle– de terminer la décoration du sapin demain matin, pendant que les enfants sommeilleront encore.
Le cœur lourd, elle se dirige vers la chambre de ses trois filles où les enfants dorment déjà profondément. Les chers petits anges, confiés aux bons soins de son amie Domi, offraient leurs paupières closes à la douce nuit du marchand des songes. Amandine dépose un tendre baiser sur chaque paupière endormie puis, exténuée, rejoint et s’allonge sur son lit sans prendre soin de soulager sa faim ni apaiser sa soif. Des larmes d'épuisement perlent sur ses joues et la nuit emportera dans ses brumes son lot de fatigue.
Depuis la morne solitude sentimentale que lui avait inopinément imposé le destin, la jeune femme travaillait à cœur défendant, transformant toutes pauses entre deux besognes, en travaux supplémentaires. Polyvalente, elle acceptait sans sourciller toutes tâches qui pouvaient l’aider à mener de front le bien-être de sa petite famille, négligeant son ego, oubliant de vivre, pour mieux survivre. Tantôt à l’accueil, tantôt à la caisse, tantôt en rayons manipulant les cadenciers et tantôt avec le balai ou la wassingue, Amandine finissait sa lourde journée dans les sombres dédales pour parachever son lot de courbatures dans les transports urbains…
D’un geste coutumier, elle programme son réveil à six heures afin de répondre à l’attente de ses petits amours auxquels, il va de soi, elle avait promis de respecter la tradition de Noël. Les derniers préparatifs étaient certes de prime urgence…pourtant Amandine ne s’était octroyée aucun répit, aucun repos, de façon à pouvoir honorer les cadeaux tant désirés par les siens. A l’heure indubitable, la jeune femme s’étire, prend assise en bordure de lit puis se dresse, bien décidée à offrir à ses petits chérubins une fête digne de ce nom. La nuit lui parut pourtant des plus brèves, mais la brune, complice d’une langueur louable, freina l’empressement de l’aube tendant à faire de ce jour exceptionnel la plus lapidaire des nuits hivernales. Longeant discrètement le petit couloir, Amandine cherche dans le placard, trouve et saisit les boites de rangement destinées à l'ornementation dudit jour puis se dirige vers le salon. Se voulant discrète, elle cherche l’interrupteur à l'aveuglette.
A sa grande surprise et sans avoir appuyé sur le moindre bouton, la pièce s’illumine illico ! Christelle, l’aînée, Laura et la petite dernière Joshua dont les yeux sont encore tout emplis de sommeil, sont assises devant la cheminée. Un magnifique sapin décoré de guirlandes illuminées se dresse au milieu de la pièce. Les trois enfants fiers et ravis de l’étonnement de leur mère frappent dans leurs mains et entonnent en chœurs le traditionnel « Petit Papa Noël » de Tino Rossi.
L’émotion d'Amandine est indescriptible. Celle-ci mêle rires et larmes sous la chaude voix de la petite fratrie qui forme aussitôt une ronde autour d’elle. Son amie, Domi, avait bien suivi les instructions et les petits souliers près de la cheminée regorgent de présents. La petite troupe menée par Christelle guide soigneusement leur joyeuse farandole, de façon à entraîner leur maman face à ses chaussons. Un petit paquet enrubanné de soie se trouve là, ainsi qu’une petite lettre, découpée en forme de cœur. Un titre : A ma maman chérie !
Nouvelle "In média res" de Jacqueline Peytavi